La majorité des entrepreneurs comprennent l’importance de la notion de fin de travaux sur un chantier de construction. Non seulement s’agit-il du point de départ dans la computation des délais pour l’exigibilité des retenues contractuelles mais aussi de la computation des délais pour la publication de l’avis d’hypothèque légale de la construction.
En effet l’article 2727 du Code Civil du Québec impose pour sa validité que l’avis d’hypothèque légale soit publié dans les trente (30) jours de la fin des travaux. La notion de fin de travaux n’étant pas plus amplement définie dans la loi elle est toutefois amplement commentée par une jurisprudence abondante. Les grands principes qui ressortent de cette jurisprudence sont les suivant :
- il n’y a qu’une seule fin de travaux par chantier et non pas une fin de travaux par entrepreneur (contrairement aux exigences des cautionnements);
- si l’ouvrage n’est pas circonscrit par des plans et devis il y aura fin des travaux dès que l’immeuble sera prêt à l’usage auquel il est destiné;
- s’il y a plans et devis la fin des travaux surviendra lorsque tous les travaux circonscrits dans les plans et devis seront terminés aussi minimes soient-ils;
- des déficiences ne retardent pas nécessairement la fin des travaux si elles consistent en des travaux mal faits plutôt que des travaux qui ne sont pas faits;
Mais qu’en est-il des travaux spécifiques aux entrepreneurs qui œuvrent dans les domaines de la climatisation, du chauffage et de la ventilation. À quel moment peut-on considérer que leurs travaux sont réellement terminés si les systèmes installés doivent faire l’objet d’ajustements et de calibrage pendant une certaine période après que la presque totalité des travaux sont terminés. Nous avons fait une certaine analyse de la jurisprudence applicable afin de répondre à cette question d’intérêt commun à tous les entrepreneurs membres de la C.E.T.A.F. et nous partageons par la présente le résultat de nos recherches.
JUGEMENT
CONSTRUCTION CONSTANT LAROUCHE c.MÉCANIQUE M.G.S. MÉTAL INC et al., C.S., no :150-05-002838-011, juge Michèle Lacroix
Dans cette décision la cour devait décider si des travaux de balancement d’un système de climatisation installé constituaient une simple déficience ou s’il s’agissait de travaux non terminés qui suspendent la fin des travaux. Initialement les travaux étaient circonscrits par des plans et devis et on retrouvait dans le devis des spécifications quant au débit d’air frais à atteindre. La cour en arriva à la conclusion que l’air étant certes essentiel à l’usage complet du bâtiment la fin des travaux ne survient que lorsque le débit d’air rencontrera les spécifications du devis.
De plus la cour fut d’opinion que le principe établi dans le jugement de la Cour d’Appel dans « 2864-8350 Québec inc c. Les Carreaux Fleuris inc et al, C.A. 1998 R.D.I. p.p. 29 » était applicable à la présente affaire. Dans cette affaire la Cour d’Appel reconnue que des grillages dans les luminaires d’un gymnase étaient essentiels à l’usage complet du bâtiment et de ce fait il y avait suspension de la fin des travaux.
Ce jugement contredit une autre décision plus ancienne rendue aussi par la Cour Supérieure en 1995 que nous commenterons ci-après.
JUGEMENT
LLOYD V. LOMAS HOLDING LTD c. VALMONT NADON TRANSPORT, C.S. JE 96-274
Dans cette décision la Cour considéra que de simples essais et réglages d’appareils de chauffage et de ventilation fournis et installés ne suspendait pas la fin des travaux même si tels travaux étaient requis spécifiquement dans les plans et devis puisque leur coût est négligeable par rapport à l’ensemble des travaux et que de tels travaux n’apportent aucune plus-value à l’immeuble.
Avec respect pour l’opinion de la juge Nicole Duval Hesler nous sommes en désaccord avec un tel raisonnement. D’une part si de tels travaux sont spécifiquement prévus dans les plans et devis leur valeur par rapport à l’ensemble ne devrait pas en soi être un critère déterminant puisque la jurisprudence majoritaire est à l’effet que si des travaux prévus dans les plans et devis ne sont pas terminés, aussi minimes soient-ils, il n’y a pas fin de travaux pour les fin de computation du délais de publication de l’avis d’hypothèque légale. Aussi il ne faut pas confondre la notion de « fin de travaux » avec « fin de travaux apportant une plus value ». Le Code Civil du Québec dit bien que seul des travaux qui apportent une plus value à un immeuble peuvent faire l’objet d’un avis d’hypothèque légale. Il arrive fréquemment qu’un entrepreneur publie un avis d’hypothèque légale pour une somme importante mais qu’en réalité la plus value apportée à l‘immeuble par ses travaux soit minime et donc inférieure à sa créance. Il n’en demeure pas moins qu’il peut publier son hypothèque pour la valeur totale de sa créance bien qu’au moment de la vente en justice éventuelle de l’immeuble la sûreté qui garantie sa créance, la plus value, soit de beaucoup moindre à sa créance. De plus il est de jurisprudence constante que la plus value est une question de fait et d’expertise qui et dont la preuve s’établis au moment de la vente en justice s’il y a insuffisance de fonds pour payer tous les créanciers hypothécaires.
Compte tenu de ce qui précède si un entrepreneur doit contractuellement exécuter des travaux qui, en partie, n’apportent aucune plus value à l’immeuble, et que la loi lui permet de publier un avis d’hypothèque pour la totalité de sa créance, incluant ceux qui n’ont apporté aucune plus value, nous ferons face à une situation paradoxale si on considère que seul des travaux apportant une plus value suspendent la fin des travaux. En effet dans une telle logique l’entrepreneur qui n’exécute pas tous les travaux de son contrat plus spécifiquement ceux qui n’apportent aucune plus value sera au niveau contractuel considéré comme un entrepreneur qui n’a pas terminé ses travaux. Par contre pour les fins de délais et d’hypothèque légale il sera réputé avoir terminé ses travaux puisque ces travaux n’auraient de toute façon apporté aucune plus value. Nous doutons que le législateur ait eu l’intention que les dispositions du Code Civil du Québec s’interprètent dans ce sens. S’il l’avait souhaité il aurait précisé à l’article 2727 C.c.Q que l’avis d’hypothèque légale doit être publié dans les trente jours de la fin des travaux « qui apportent une plus value à l’immeuble » ce qui n’est pas mentionné.
Par ailleurs il est vrai que la jurisprudence majoritaire est à l’effet de considérer que des travaux mal faits n’en demeure pas moins des travaux faits. Dans cet optique des déficiences non corrigés ne retarderons pas la fin des travaux si ces déficiences concernent des travaux mal exécutés. Par contre ces mêmes déficiences pourrons retarder la fin des travaux s’ils englobent des travaux ou des matériaux qui étaient prévus dans les plans et devis et n’ont toujours pas été faits ou livrés. Conséquemment si les devis prévoient spécifiquement que les travaux de réglage et de balancement d’un système doivent êtres fait de façon à atteindre certaines normes de performance et qu’aucun travail en ce sens n’est exécuté par l’entrepreneur on peut difficilement prétendre que tous les travaux prévus au devis ont été fait. Dans la même logique si ces travaux de réglage ont débuté mais ont été suspendus avant d’atteindre la performance prévue comment prétendre qu’il s’agit alors de travaux terminés mais déficients s’il était prévisible depuis le commencement des travaux de réglage et dans le devis que ces travaux seront terminés lorsque la performance sera atteinte. Raisonner autrement pourrait nous amener à en déduire que compte tenu que la performance à atteindre n’a pas à être considérée pour la fin des travaux aucun travaux de telle nature n’a à être considéré pour interpréter la fin des travaux. Or dans une telle approche il y aurait fin de travaux même si aucun ajustement, calibrage ou norme de performance n’a même pas été commencé. Par conséquence un système de chauffage qui ne fonctionne qu’à 5 % de sa capacité en plein hiver compte tenu que plusieurs heures de calibrage n’ont pas été faits alors qu’elles étaient prévus dans les plans et devis serait considéré comme terminé.
Pourtant la Cour d’Appel a déjà énoncé dans « BANQUE NATIONALE DU CANADA c. RÉFRIGÉRATION FIXAIR INC., ( 1990 ) R.D.J p.p.606 que si des travaux mineurs peuvent suspendre le délais de trente jours ils doivent tout de même revêtir une certaine importance pour avoir tel effet. Il serait intéressant de demander à un propriétaire qui gèle en hiver dans le cadre de l’exemple précité s’il considère que les travaux de calibrage de son système de chauffage revêt une certaine importance.
Certaines décisions relèvent que si les travaux ne sont pas terminés à raison de pièces qui n’ont pas été installés ou ont été installé temporairement il n’y aura pas fin de travaux.
JUGEMENT
LUCIEN LAURENDEAU INC c. HYDRO-QUÉBEC,C.Q., AZ-01036173, en 2001
Il s’agissait dans cette cause de travaux de plomberie et chauffage et la cour considéra que des «branchements en T» avaient été installés en attendant que les «branchements en Y» prévus aux plans et devis soient livrés et installés et par ce fait même conclue que tels travaux temporaires n’équivalaient pas une fin de travaux.
Le tribunal considéra qu’une telle situation était fort différente de la situation factuelle qui prévalait dans la décision LLOYD c. LOMAS HOLDING LTD précité.
Il ressort de ces quelques décisions que la jurisprudence est encore embryonnaire quant à la question de la fin des travaux et des travaux de calibrage et d’ajustement et celle qui fût portée à notre connaissance est quelque peu contradictoire.
Les entrepreneurs en climatisation, chauffage et ventilation devront donc rester aux aguets en attendant de voir quel sera le courant jurisprudentiel majoritaire qui se dessinera à l’horizon.
Gouin & Associés 2004
* Ce document est disponible uniquement à des fins informatives et ne constitue pas une opinion juridique.